Histoire des Provisoires :

Parler de «provisoire» de façon générale est commode mais impropre. En effet, de multiples types de « provisoires » ont existé qu’il convient d’examiner. Le type Adrian ou ECMB est aménagé pour quatre familles, avec, au centre, une buanderie commune. Le type Nissen est la «provisoire» la plus répandue sur toute la zone dévastée du grand Nord. Gérard Lobry, dans son article sur « les provisoires » en Picardie en donne une très fidèle description. Selon lui, « baptisée « tube », « métro » à Chaulnes, « tonneau » à Péronne et « demi-lune » à Ham, « la Nissen » pousse à chaque pas. Le tube se composait de deux parois cylindriques qui descendaient jusqu’au ras du sol et de deux parois percées de fenêtres, un habitat dans lequel « il faut prendre l’habitude de ne pas se cogner contre la toiture, ce que rendait trop facile sa courbure convexe ». Une cloison de 7 cm d’épaisseur avec une porte de 0, 75 m en son milieu divise « la Nissen » en deux pièces si exiguës que le mobilier le plus sommaire n’y peut tenir à l’aise, à plus forte raison quand on veut y loger sept personnes . » Le STPU, quant à lui, se charge d’édifier des cabanes en bois disponibles. Dans l’Aisne, en août 1920, 52 % de l’habitat «provisoire» est constitué par ce type de maisons. Installées en général en série, elles peuvent former de véritables cités «provisoires». Ce type STPU est le plus répandu sur le Chemin des Dames. Il se répartissait en plusieurs constructions allant d’une simple chambre et d’une salle à des doubles chambres, salle et hangar. L’armature était en bois, composée de six piliers porteurs de cloisons et d’un pilier central maintenant les fermes de la fine charpente de sapin. Le toit était le plus souvent recouvert de fines tôles métalliques ou de papier goudronné. Les murs extérieurs étaient recouverts de planches clouées sur la structure porteuse se chevauchant et percées généralement d’une fenêtre par pièce. Ces constructions ont néanmoins évolué en fonction des demandes de plus en plus pressantes des sinistrés. La «provisoire» de la famille Genteur, rentrée précocement, offre une très bonne illustration de cette évolution. Située à Craonne, cette «provisoire» en bois fut construite sur un solide soubassement et constituée de quatre doubles parois permettant une meilleure isolation des pièces. La qualité des matériaux employés était très supérieure, parfois de loin, à ce qu’on pourra observer quelques années plus tard. Les «provisoires-chapelles » furent construites bien après la signature de l’armistice et la qualité de la structure, tout comme des matériaux, laissait songeur le comte Maxime de Sars lors de la rédaction de son ouvrage sur L’Œuvre des coopératives de reconstruction : « on ne peut pas reprocher aux communes, au milieu de la désolation générale, d’avoir couru au plus pressé », écrit-il. « Cependant, les frêles « baraques chapelles » risquaient de s’effondrer avant que les clochers ne fussent relevés ». Leur confort et durée de vie étaient néanmoins largement supérieurs aux « provisoires » classiques. C’est en ce sens qu’elles furent bien souvent appelées semi-provisoires au même titre que le type Puchot. Cette « semi provisoire » n’a plus rien à voir avec la « Nissen » ni avec la baraque de bois. Bâtie sur une dalle de béton, son élévation était de pierre et sa toiture en tôles clouées sur des « boulins ». On les rencontre très fréquemment encore aujourd’hui parce qu’elles étaient construites pour durer (8). « Devaient être notamment considérés comme telles, les abris ou constructions d’une valeur ne dépassant pas celle des maisons démontables en bois correspondantes et qui seraient édifiées soit avec des murs de briques de 22 cm d’épaisseur, hourdés en terre, soit avec des murs de 11 cm hourdés à la chaux, soit avec des murs en carreaux de 14 cm d’épaisseur hourdés en terre, soit en tout autre matériaux local analogue et employé dans les mêmes conditions . » Les circulaires préfectorales de l’année 1919 reviennent bien souvent sur cette question des coûts de construction de ces semi-provisoires en dur par « l’institution d’un nouveau régime pour l’avance de la construction de bâtiments semi provisoires. En cas de « semi provisoire », la somme ne doit pas dépasser 4 500 francs au risque de voir le montant intégralement déduit sur les dommages de guerre du sinistré. En cas de construction provisoire en dur, il faut justifier de l’impossibilité de pouvoir opérer le remploi dans l’instant. Dans le cas contraire, les avances seront imputées au total final ». La question du financement de ces maisons était d’autant plus délicate que les sinistrés avaient la possibilité de louer les « provisoires » demandées par la commune . « Un continuel remue-ménage régnait dans ce grand camp civil ». Telle fut l’impression de Roland Dorgelès lorsqu’il découvrit l’univers des « provisoires ». Placées dans le meilleur des cas à l’extérieur de l’ancien village, elles s’élevaient sur de vastes plates-formes nettoyées des débris de la guerre et aplanies. Cependant, les baraquements de bois ou « semi-provisoires » étaient édifiés dans la partie libre des propriétés, jardins ou cours des maisons inhabitables. En effet, dans leur immense majorité, les baraquements sont disséminés et, par défaut d’alignement et à cause de la variété des types, donnent aux communes dévastées une allure particulière. Ainsi, la commune de Vassogne demande-t-elle en 1921 six « maisons provisoires » numérotées de 14 à 19 à édifier sur le terrain de la commune (la croisette et la prison) . La répartition des « provisoires » dans les villages tenait donc à la capacité des élus locaux et de l’administration de la reconstruction à faire appliquer un plan d’alignement, du moins dans ses grandes lignes. Dans ce registre, l’exemple de la commune d’Oulches est intéressant par le reportage photographique des années 20 dont nous disposons (III). Il confirme, particulièrement en milieu rural, l’installation des sinistrés au sein même du village, souvent à l’emplacement de leur ancienne maison. L’environnement est lunaire (arbres morts, sols défoncés). On y voit la nature reprendre ses droits progressivement tandis que les morts sont physiquement matérialisés dans le paysage : les croix atteignent le pied des maisons. Malgré l’apparente incohérence d’implantation des semi-provisoires, ces dernières sont placées de telle sorte à ne pas gêner la construction des maisons définitives. La chronologie des documents indique que le plan d’alignement établi par le service de la reconstitution foncière et du cadastre dépendant du ministère des Régions Libérées, était bien souvent réalisé bien après la construction des provisoires et semi-provisoires. Elles apparaissent en effet sur le plan de la commune de Jumigny (1922). Ce plan était établi par un agent technique puis validé par le chef d’arrondissement, contrôlé par le chef de service de la reconstitution foncière, accepté par l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées en ce qui concerne la grande voirie et les chemins vicinaux puis approuvé définitivement par arrêté après avis conforme de la commission départementale d’aménagement et d’extension des villes et villages de l’Aisne par le préfet . L’installation et les types de provisoires dépendaient donc de plusieurs facteurs. L’initiative des sinistrés, particulièrement dans les petites communes était prépondérante (récupération de matériaux, choix de l’emplacement). Dans un second temps et par le biais des plans d’alignement, l’Etat, par le biais de son administration, a intégré les initiatives spontanées au réaménagement des communes. Le régime des provisoires ne devait en effet pas durer. Se pose enfin la question du devenir de ces constructions. Tout dépendait bien sûr du type de « provisoires ». Néanmoins, les demandes de destruction ou de rachat étaient réglementées par l’Etat. En effet, lorsque le maire de la commune de Vassogne « demande la destruction et le rachat par l’entrepreneur des matériaux récupérables de trois maisons provisoires à la croisette en 1929 », le service des Travaux d’Etat oppose son refus « pour cause de non rentabilité sur la durée de 5 ans ». Il faudra donc que la commune rachète les habitations pour pouvoir libérer le terrain nécessaire à la poursuite des travaux du presbytère. Dès 1926, le service des travaux d’Etat des régions libérées envoie un avis à toutes les communes dévastées. Le service informe qu’il « ne pourra, dans un avenir très rapproché, assurer l’entretien des « abris provisoires » et notamment la délivrance gratuite de carton bitumé ». L’Etat propose donc aux locataires des « provisoires » de les racheter avant que la vente ne devienne publique. Les prix, selon le nombre de pièces, sont compris entre 600 et 1 000 francs à déduire sur les dommages de guerre ou réglés comptant. Les contrats de vente sont donc signés entre le locataire et le service de la Reconstitution des régions libérées. En cas de refus du locataire, la baraque était alors achetable par toute autre personne. Madame Chassepot écrit le 27 janvier 1926 au maire de Beaurieux pour lui « demander d’acheter une provisoire actuellement louée ainsi que le bâtiment ». Elle demande par ailleurs à acheter sa propre baraque. L’Etat a donc tôt fait de se désengager de ces propriétés « provisoires » qui coûtent cher à l’entretien et ne rapportent rien d’autant que certains sinistrés ne réglaient pas leurs loyers . L’édification de nouveaux baraquements est arrêtée le 1er janvier 1923, alors que les demandes de « maisons provisoires » sont toujours aussi nombreuses, certains sinistrés n’ayant pu regagner à temps leur région d’origine. La solution se dénoua lorsque les premiers « revenus » purent réintégrer leurs maisons et libérer leurs « provisoires ». Toutefois, certains documents de demandes de réparations indiquent que les « provisoires » étaient encore occupées en 1931 .